les nuances de l'ombre (rafe)

Les pensées sont confuses, les rêves s’entremêlent. Le corps abandonné sur le sol bouge à peine, le souffle erratique de sa respiration résonne sombrement. Le sursaut d’un oiseau, son petit cri de vie pousse l’homme au sol à ouvrir les yeux.

La lumière, immanquablement, l’aveugle. Lui brûle les rétines gorgées d’alcool et des autres substances qu’il a prit la veille. L’anesthésie a cessé de faire effet, la réalité. La sombre et dure réalité lui fait face. A peine éveillé que déjà, il sent caresser ses entrailles la souffrance habituelle. La vieille amie ; toujours présente.

D’un mouvement d’épaule, il retourne son corps pour être sur le dos. Il inspire, sens l’air lui tordre les poumons. Comment le vide peut-il faire si mal ? Cette question l’obsède chaque matin, à chaque réveil. Le vide qui l’habite, qui l’entraine doucement mais surement, le vide qui l’enterre oui. Peu à peu, ses sens se remettent en marche. Il entend les sons de la ville, de la vie, qui se chahute sous ses fenêtres ; lui qui n’est plus qu’un cadavre, un mort vivant. A demi rien.  

Il passe une main dans ses cheveux trop longs, trop sale. Il frotte un instant cette barbe de plusieurs semaines qui couvrent ses joues, il n’a pas besoin de croiser son reflet contre le marbre poli pour savoir que son extérieur est aussi dévasté que son intérieur. Sa peau tire contre ses côtés, squelettique, presque cadavre : il ne peut plus rien manger depuis des jours. La crise est longue : plus longue que la précédente.

En rampant, il attrape le paquet de cigarette qui git près de lui ; il n’hésite pas une seconde à en allumer une. Il ne vit plus que pour cela, pour ce souffle acre qui n’appartient qu’à lui à travers ce bâtonnet empoisonné. Ses yeux se ferment, savourant l’unique dose de plaisir qu’il connait encore.

Le téléphone vibre sur la table basse. Mais rien ne le détourne de sa cigarette, de sa mort qu’il consomme doucement. Il sait que ce qu’il veut ne reviendra pas, que ce qu’il attend n’existe plus. Que le monde dans lequel il existait il y a quelques mois encore n’est plus qu’un lointain souvenir. Il ne vit plus, il survit. A chaque jour passant, incapable de mettre fin à son existence morne et terne, il attend que le trépas l’emporte.

Les choix qu’il a faits l’on conduit ici, les choix qu’on a prit pour lui l’on fait coulé la bas. Il ne ressent plus tellement il a sentis. Il n’aime plus tant il a aimé.

Enfant de la mort, enfant du vide. Il est devenu un adulte abîmé, il a été un homme rempli d’espoir, un homme qui luttait, qui se battait pour la vie. Et puis, sans savoir exactement comment, il a tout foutu en l’air. Perdant tout, absolument tout ou presque.

Le vide de jadis est plus fort, la peur d’antan si paralysante qu’il n’arrivait plus avancer, qu’il n’arrivait plus a respirer. Alors, nécrosé, privé d’oxygène, l’espoir a commencé à mourir, à pourrir au plus profond de lui-même. La vie a cessé sans s’arrêté.

Le cœur bat toujours, comme une pompe, dénué de sens. Le palpitant se gorge et se dégorge, sans raison, sans but.

Le bâton est presque consumé. La vie pourtant à peine trente ans, loin de s’achevé sans geste de sa part.


Le bilan pourtant chaque matin reste le même : le père n’aime pas, la mère n’est plus. Le frère est mort. La femme est partie, sous les coups. L’amour est là, la haine aussi. L’enfant ne sera jamais, les rêves demeurent. Le corps est ruiné, bousillé d’alcool, de drogue et d’émotion.

Raphael, le mort vivant. Le soignant insoignable, incapable. Car toute son existence ne se résume désormais plus qu’à cela : l’impuissance de vivre, incapacité de mourir. Rafe, il est le suspendu ; perdu entre vide et néant.  
Rongé par la culpabilité autant que par le souvenir, rien n’est possible.